L’Argentine

ar_0Octobre 2016. Je débute ce premier carnet de voyage de la tournée des Souffleurs en Argentine avant d’y être. Dans mon impatience, je peins une aquarelle de ce que j’imagine être ce pays. Même si j’ai vu quelques films de fiction, quelques documentaires, je découvre que mon Argentine imaginaire n’a pas une carte aussi fournie que celle des États-Unis ou de l’Italie par exemple. Des pays que nous portons en nous, l’Ar- gentiane me semble un des plus discrets, un pays de signalisations parcimonieuses, d’espaces vierges et démesures, piétiné́ d’une multitude de vaches satisfaisant les appétits carnes d’une population réduite pour un si vaste territoire. Tout en rêvant à cette vision « fondatrice », je me réjouis de participer à̀ cette aventure où la poésie des poètes argentins nous accompagnera chaque jour. Ici se trouve la maison de Julio Cortázar, au centre à l’arrière-plan, un peu à droite celle de Juan Gelman, en haut à gauche celle d’Alejandra Pizarnik. Ils ont accepté de vivre ici dans ce petit village pour quelques semaines.

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La réalité est un temps plié
Qu’il faut déplier comme une toile

D’une singulière délicatesse
Pour trouver au dedans
Une autre main qui attend.

Roberto Juarroz

XIIIème poésie verticale

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Après treize heures d’avion, nous atterrissons à Buenos Aires, accueillis par Virginia, notre ange gardien du Circuito Teatro. Ces vols où nous sommes pressurisés, dépressurisés, nous laissent comme des oiseaux fatigués, cous tendus dans l’espoir de retrouver leur orientation. Arrivés au bureau du Circuito dans l’attente d’un bus de nuit qui nous conduira dans la Pampa, nous découvrons les immeubles massifs de Buenos Aires. La fraîcheur de l’air nous saisit. Ici, le printemps débute à peine. Au retour d’un premier restaurant de grillades dont la cuisson excessive sera un sujet de conversation récurrent, nous soufflons à de vieux acteurs, pensionnaires d’une maison de retraite, tout en haut de l’immeuble, au-dessus des bureaux du Circuito. Un décor sommaire de « théâtre » témoigne d’une mise en scène de ces retraités pour gagner un peu d’argent. Nos poèmes argentins se glissent dans leurs oreilles pour la première fois. Pour nous remercier, une des actrices chante Édith Piaf et Talou l’accompagne. Notre tournée commence ici… avec la vie en rose.

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La fleur du Jacaranda est parfois jaune.

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Après quatorze heures de bus Pullman dont les sièges s’inclinent, de terribles repas froids nous sont servis. L’air conditionné fait des ravages auprès des plus délicats. Nous débarquons à Mendoza dans notre premier hôtel en fin de matinée. Nous soufflerons le soir venu au théâtre municipal pour le démarrage de la tournée du Circuito. J’aime d’emblée les rues de cette ville, ses commerces et ses marches. Après l’inauguration qui fut douce, je revois tous ces visages illuminés par la poésie. Cette phrase semble exsangue, toute petite vis-à-vis de ce qui s’est passé… Il s’agit bien, pourtant, de cette lumière du regard, des mots qui démarrèrent ce brasier, de ceux qui l’ont entretenu, du ciel de traine de ces lucioles que seule une attention soutenue laisse entrevoir. La poésie, ce souffle seul à pouvoir dévoiler tes braises. Ce n’est pas le poème qui enflamme quelque chose en toi, c’est le souffle qui disperse tes cendres. Je me promené dans la ville les deux jours suivants pour m’imprégner de l’Argentine, découvrir ces petits métiers comme le vendeur de petit-déjeuner, de chaussettes près des gares routières, le cireur. Ceux-là qu’on ne voit plus en France.

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Vous pouvez retrouver l’intégralité de ce récit de voyage ici en français et en espagnol. Merci à Marie Daguerre pour sa traduction.